Hommes et femmes ne sont pas égaux face à la pratique du vélo. Un clivage qui n'est jamais aussi fort qu'à l'adolescence, explique David Sayagh, chercheur au Cerema. Dans cette période où se renforcent les injonctions sexuées, les filles sont moins incitées que les garçons à investir l'espace extérieur, à fournir des efforts physiques et à prendre des risques… et donc moins encouragées à pratiquer le vélo. Avoir fait du vélo durant son adolescence est pourtant, souvent, un déterminant essentiel dans la perspective de (re)prendre le vélo à l'âge adulte.

Dès le plus jeune âge, les enfants intègrent des incitations véhiculées par leurs parents, le cadre scolaire, les médias, les jouets eux-mêmes... Les vélos explicitement destinés aux garçons présentent des éléments qui valorisent le sport, la compétition et l'aventure, alors que les vélos explicitement destinés aux filles sont pourvus d'éléments qui appellent à l'usage utilitaire (panier, siège pour bébé…). Les filles bénéficient en moyenne d'un apprentissage du vélo légèrement plus tardif que les garçons, et sont considérablement plus nombreuses à ne jamais apprendre à faire du vélo. Bien davantage que les garçons, les filles apprennent à faire du vélo dans un espace exigu, délimité ou cloisonné (une cour, une terrasse…).

L'adolescence comme période "clé"

L'adolescence constitue une période clé au niveau de la pratique du vélo : le processus de socialisation sexuée tend à se renforcer. En France, le vélo est encore fortement associé à un sport masculin et à un mode de déplacement dangereux. Pour les garçons, le vélo constitue un support idéal à la construction d'une masculinité dominante : développement du goût du risque et de l'effort physique, appropriation de l'espace public.

Au contraire, le vélo est délaissé par les filles qui sont davantage retenues à la maison : elles consacrent davantage de temps à leurs devoirs et aux tâches ménagères, mais aussi à l'hygiène (se coiffer, s'habiller, se maquiller). Elles se voient plus fréquemment interdire par les parents de se déplacer seules, ou de sortir de leur quartier ou de leur village, et surtout de se déplacer la nuit. Elles sont plus souvent invitées à communiquer leur itinéraire précis et se voient plus souvent dissuadées de se rendre dans un lieu quand elles ne connaissent pas l'itinéraire.

Même si toutes les adolescentes ne sont pas sujettes de la même manière aux mêmes injonctions, celles qui impactent essentiellement les filles participent à renforcer leur tendance à protéger et soigner leur corps et leur apparence, à éviter trop d'efforts physiques, à craindre de se déplacer seules ou à s'aventurer en dehors de l'espace connu, et à craindre de stationner dans l'espace public. Ces inclinations ont pour effet de limiter leurs alternatives réelles de s'engager dans des formes de pratique du vélo, qu'elles soient ludiques, de vitesse, de force, d'endurance, solitaires, aventurières, improvisées ou stationnaire (sur une place ou dans un skatepark, par exemple).

Un cercle vicieux

David Sayagh pointe un cercle vicieux : moins incitées à la pratique du vélo, les filles acquièrent inévitablement moins de compétences (pour réparer leur vélo, rouler au sein du trafic, maîtriser leur bicyclette…) et vont donc moins pratiquer le vélo.

Ces constructions ont un clair impact à l'âge adulte : bien que le clivage sexué du vélo soit alors moins marqué, beaucoup de femmes qui n'ont pas pratiqué le vélo durant l'adolescence n'osent pas reprendre le vélo par la suite de peur de ne pas être capable d'en faire. C'est la raison pour laquelle la majorité des élèves des vélo-écoles pour adultes sont des femmes, constate encore le chercheur.

Article rédigé sur la base de l'intervention de David Sayagh, chercheur au Cerema, dans le cadre du colloque "Femmes et espaces publics en Seine-Saint-Denis. La pratique du vélo" du 31 novembre 2020.

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